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# Lettre de l'arrière à l'avant des internets en lutte Chèr'e's adelphes, camarades, complices et allié'e's, Je vous écris entre 2 mondes qui ont trop de mal à se comprendre malgré un front commun. Tout d'abord, pour vous dire combien j'admire le courage et l’obstination de celleux qui continuent à se battre en première ligne, sur le terrain des fafs, malgré toute la censure algorithmique et la mise-en-avant exponentielle des propos nauséabonds. Puisque la controverse est plus que jamais d'actualité, je tiens à exprimer un point-de-vue qui se doit de l'être avec un peu d'honnêteté : celui d'une militante privilégiée dont la vie de blanche a toujours suffisamment constaté dans son entourage les structures racistes de notre société pour l'avoir engagée du côté des racisé'e's. Avec des impensés ou des biais, certes pas toujours déconstruits, mais en continuant d'apprendre, que ce soit dans des squats, au taf, dans des assos voire des congrès, y compris entre camarades blanc'he's, à partir des lectures et expériences de nos camarades racisé'e's. Parce qu'il y a du boulot... L'une de ces leçons est que la division raciale dans la controverse actuelle est frappante. Surtout à l'heure des génocides à Gaza, en RDC et ailleurs, où les populations n'ont parfois pas d'autres choix que de survivre dans des tentes sous des drones meurtriers, les racisé'e's ont, par définition, l'habitude de vivre dans un monde qui leur est hostile, de se battre contre leur invisibilisation, leur répression, leur harcèlement. Et, à l'inverse, les blanc'he's sont bien plus habitué'e's à être chez elle'ux, de se voir protégé'e's et principalement se contenter de scroller. Je crois donc que toutes les rhétoriques moralisantes sur la question des réseaux ne pourront avoir comme effet que d'agrandir encore plus le fossé entre nos groupes sociaux. Plutôt que de nous unir face à elle, j’ai peur que la menace fasciste ne parvienne à nous diviser juste encore plus, en accentuant le contraste entre nos (im)postures. Sur Insta, à "l'avant" des fronts numériques, je dois bien constater à chaque fois un boulot acharné des personnes qui continuent à visibiliser les luttes et leur répression, entre mille pubs, posts et stories qui semblent toujours plus futiles. Sur læ fédiverse, à "l'arrière", on s'affaire au quotidien à améliorer à l'organisation et l’animation des alternatives pour en faire un endroit plus accueillant, combatif et chaleureux, entre mille posts à l'esthétique souvent ringarde. Et même si ça peut paraître lâche de le faire face à 100 fois moins de personnes, croyez-moi : nous y avons aussi fort à faire contre l'ignorance, l'imbécilité et la mauvaise foi. Avec toustes les bénévoles qui font ce taf de modération autogéré, on est au moins un certain nombre à mettre à profit un maximum de nos compétences et privilèges pour faire de ces environnements des bases arrières plus solides et reposantes, dresser des barricades logicielles, créer des espaces de documentation, d'archivage… bref, à contribuer à notre lutte commune pour la paix et la liberté de toustes. Or, tout le monde peut le constater : les digues sont en train de sauter les unes après les autres. Heureusement, ce constat est partagé entre nos camarades les plus privilégié'e's (à savoir les hackers pour qui la "neutralité du net" en Europe ou aux US semble parfois plus prioritaire que la solidarité internationale entre les luttes de libération) et les plus opprimé'e's (à savoir les personnes qui crèvent de faim derrière un blocus infernal). Oui, le fascisme avance à grand pas, et non, et ça ne date pas d’hier. Encore moins des dernières élections états-uniennes. On sait donc bien combien il est nécessaire d'établir des stratégie de résistance face au contrôle des populations. Et c'est pour cela que l’on tient autant à nos alternatives. Parce qu’elles sont nécessaires à la lutte. Non pas pour céder du terrain au fascistes face au totalitarisme numérique, mais parce que ces espaces autogérés n'auraient aucun sens s'ils ne servaient qu'à favoriser encore plus le bien-être des plus privilégié'e's. Donc pour qui nous prenons-nous quand nous jugeons les personnes qui décident consciemment de rester sur des plateformes commerciales si toxiques ? J'ai renoncé à mon brouillon d'énumération des raisons pour lesquelles il faudrait les quitter, car on les connaît déjà toustes. On sait aussi combien les alternatives sont moins pratiques et conceptuellement plus complexes. Mais elles le sont pour plusieurs raisons : d'une part, nous ne cherchons pas à reproduire la toxicité des plateformes mainstream mais au contraire à construire un modèle plus émancipateur ; d'autre part, parce que l'écrasante majorité de ce taf est bénévole pour garantir son autonomie et sa gratuité. Mais elles sont aussi une construction politique collective et évolutive, et sont une possibilité d’émancipation de l’emprise du capitalisme sur nos cerveaux et nos sociétés. On y manque notamment encore trop de diversité artistique et culturelle, mais ça bouge doucement. De plus en plus de gens débarquent, on les accueille du mieux qu'on peut. Et vous serez toujours les bienvenu'e's dans læ fédiverse. On saura au moins où se trouver lorsque vous le souhaiterez : sur Mastodon, Pixelfed, Peertube ou autre (ils sont interconnectés). Vous pourrez utiliser les hashtags de vos villes et de vos pratiques, vous (re)trouverez d'autres gens sur le chemin. Soyons solidaires : le mot d’ordre est facile à dire tant la réalité est complexe et la mission est immense, mais nous partageons plus de choses entre nous qu’avec les fascistes. J’espère simplement qu’on pourra un jour se retrouver ailleurs que dans un centre commercial tenu par des nazis. Amitiés sincères, Une camarade en colère. --- ## Annexe : premiers jets Personnellement j'estime avoir plus à faire ailleurs qu'ici [sur instagram]. Je crois qu'il y a déjà bien assez de boulot dans les milieux libristes et autogestionnaires encore très blancs pour y contribuer à faire avancer les questions décoloniales, antiracistes et antifascistes. J'aimerais que ces espaces puissent être plus attirants qu'ils ne le sont pour l'instant. Car l'objectif n'est pas seulement d'en faire des safer spaces, mais tout simplement des espaces d'organisation, d'archivage, d'expression au service de notre puissance collective. Je dois bien le reconnaître : j'ai vu plus d'actions pour la Palestine, par exemple, sur insta que sur n'importe quel autre média. Je crois qu'on a toustes conscience qu'on se fera effacer ? Qu'est-ce qu'on peut attendre d'une arme à double-tranchant aux mains des fascistes ? Quel temps perd-on à jouer le jeu de notre pire ennemi ? Est-ce qu'on ne ferait pas mieux d'exporter nos contenus pour les sauvegarder tant qu'il est encore temps ? De mener nos batailles militantes auprès des allié'e's technicien'ne's Alors oui, OK, j'entends bien toutes les raisons pour lesquelles vous préférez rester sur insta. Trop important pour la visibilité, pas envie d'abandonner le terrain aux fafs, d'accord. Moi-même je garde ce compte pour l'instant car je tiens à y laisser un peu d'information dissidente. Mais, comme vous pouvez le voir dans mes stories à la une, je sais aussi depuis mon inscription qu'on se leurre. On ne touche que des personnes convaincues. Alors oui, peut-être qu'on apporte quand même des arguments dans des controverses. Mais qu'est-ce que cela représente quand on y perd 95% du temps à scroller pour se distraire, se morfondre et surtout diminuer nos capacités cognitives et d'organisation ? ### Arguments 1. "Stonewall was a riot", "c'est trop facile de se barrer dans des safer-space", "faut pas laisser le terrain aux fafs", ok. Dsl de préférer défendre des bars indé, queers et/ou anar plutôt que de perdre mon temps et ma santé mentale à essayer de me battre pour faire qu'un centre commercial soit plus inclusif. 2. La lutte sociale, ça nécessite de l'orga. Et, plus que jamais, on a besoin d'outils fiables pour s'organiser. Au choix, entre m'organiser au McCafé ou dans un bar géré par des meufs trans, c'est vite choisi. Insta est aliénant. Swiper n'est pas un geste militant. C'est déprimant et ça nous nique notre capacité de concentration. Ça nous habitue à des intéractions superficielles et constamment avoir le regard potentiel de 500 personnes est hyper anxiogène. La discrétion c'est important pour s'organiser. 3. L'accès à l'information est primordial. Perso j'ai passé 3 ans sur mastodon avant de rejoindre Insta dans un moment où j'ai eu envie de tenter le jeu du spectacle comme forme de militantisme. Et je peux dire que j'ai reçu une formation militante précieuse sur les 2. Mastodon regroupe des personnes queer, handi, racisées, anarchistes et communistes ultra radicales, grâce à qui j'ai appris énormément de choses que j'ai ensuite vu passer sur Insta. Aussi, Masto et sa commu encourage à rendre son contenu accessible aux personnes aveugles, ce qui est juste impossible sur Insta. 4. L'information c'est une chose, l'action en est une autre. Alors oui, on peut en apprendre des choses ici ou sur Masto. Mais franchement, ça m'a jamais empêché de faire de la merde dans la réa. Car la théorie n'est pas la pratique. Et pour la pratique, rien ne vaut l'espace physique pour se confronter à la réa. Ouvrir des squats et les défendre, rencontrer des gens différents de soi et sortir de son ignorance par des intéractions humaines. 5. Rencontrer l'altérité. Ce qui est sûr, c'est que ni Masto, ni Insta ne permet ça. Sur les deux, au mieux, l'altérité c'est pour moi des comptes de personnes handi et/ou basées ailleurs, d'autres cultures, sur les autres continents. Je peux apprendre bcp en lisant leurs contenus dans les langues que je comprends, mais jamais je n'ai autant appris sur d'autres cultures et sur la vie en général que dans le monde physique, les yeux dans les yeux, les mains dans l'eau de vaisselle, la peur au ventre d'appréhender une descente de keufs ou en dansant et en riant après s'être se régalé'e's d'un gâteau d'anniversaire incroyable. 6. Alors pourquoi je reste ici ? Déjà : je n'ai insta que sur un tel dédié aux trucs les plus aliénants et craignos niveau vie privée. Je veux avoir un minimum de contrôle sur ce que j'ai 24h/24 à mes côtés. Ensuite, j'ai rejoint insta alors que je savais pertinemment toutes les raisons qui font qu'aujourd'hui plein de gens se barrent. C'est donc juste une raison de plus de ne pas vouloir lui accorder plus de mon temps. 7. Je tiens à mon temps. Quand à Masto, je n'y vais pas pour les mêmes raisons. Y a vraiment peu de gens proches dont je ne peux avoir de nouvelles que par là. Donc je n'ai pas le même intérêt à y aller. Je sais que je peux n'y passer que 5 minutes sans me faire attraper par des clickbaits et tout ce qui va m'y faire passer 3h alors que je voulais juste écrire à une pote à la base. Et si je veux m'exprimer, je peux juste faire un post rapidement et passer à autre chose sans devoir faire une compo graphique à la con que je vais trouver moche et qui va me mettre dans un vieil état anxio-dépressif.